Quel que soit leur niveau de compétence ou d’expérience, tous les joueurs de fléchettes se posent invariablement la même question ; certains se la posent à la seconde même où ils se trouvent sur l’oche, d’autres ne se la posent qu’après des années de jeu régulier. Quoi qu’il en soit, mon expérience me permet d’affirmer avec certitude que la question sera posée !

Quel que soit leur niveau de compétence ou d’expérience, tous les joueurs de fléchettes se posent un jour ou l’autre la question suivante : Pourquoi les nombres sur une cible de fléchettes sont-ils dans cet ordre ?

Les numéros d’une cible de fléchettes sont ordonnés de manière à accroître le besoin d’habileté et à éliminer le hasard du jeu. Les nombres les plus élevés sont placés à côté des nombres les plus bas, de sorte que la pénalité pour avoir manqué une fléchette est plus élevée.

Mais comment en est-on arrivé là ?

À l’heure des forums Internet, des tableaux d’affichage et des réseaux sociaux, il semble que chaque sujet, aussi obscur soit-il, fasse l’objet d’une foule de soi-disant experts qui donnent leur version de la vérité.

Le jeu de fléchettes n’est en aucun cas une exception à cette règle. Ainsi, selon la personne à qui vous posez la question, vous obtiendrez des réponses très différentes, allant de l’exagération et de la désinformation à la pure fantaisie.

Aujourd’hui, nous allons nous pencher brièvement sur l’histoire de la cible de fléchettes moderne.

L’époque médiévale : Également connu sous le nom de l’âge des fléchettes

Les origines du jeu de fléchettes remontent au début du XIVe siècle, lorsque des archers et des fantassins qui s’ennuyaient ont commencé à “tirer” des pointes de flèches réutilisées sur les couvercles de tonneaux de vin mis au rebut.

Très vite, ce passe-temps s’est imposé dans les rangs des militaires, ainsi que dans de nombreuses cours royales à travers l’Europe. 

Cette nouvelle popularité s’est accompagnée d’importantes périodes d’itération et d’innovation, qui ont finalement abouti à l’état du jeu tel que nous le connaissons aujourd’hui.

Dans cette mesure, il devient très difficile d’identifier une personne en particulier comme “inventeur” de la cible de fléchettes. Toutefois, si personne n’a “inventé” la cible de fléchettes, il est indéniable que la façon dont ce jeu est pratiqué aujourd’hui dans le monde moderne a été façonnée par une seule personne.

Il s’appelait Brian Gamlin.

La vie de Brian

Brian Gamlin serait à l’origine de la méthode actuelle de disposition des nombres autour de la circonférence de la cible.

Brian Gamlin, charpentier de métier, vivait dans le comté de Lancashire, dans la région du nord-ouest de l’Angleterre, dans la seconde moitié du XIXe siècle.

C’est peut-être parce qu’il connaît bien la gravure sur bois et le travail du bois en général que Brian Gamlin a commencé à fabriquer des jeux de fléchettes en orme et en peuplier pour compléter ses revenus de menuisier.

Les fléchettes étant un sport très populaire, et les cible de fléchettes en bois se dégradant très rapidement, il est fort probable que M. Gamlin n’ait pas manqué de travail.

L’intérêt de Brian pour les fléchettes pourrait également provenir du fait qu’il aurait fait partie du circuit des carnavals itinérants pendant une bonne partie de sa vie d’adulte.

Une participation importante à l’installation et à la gestion des champs de foire locaux a certainement permis à M. Gamlin d’être aux premières loges pour connaître les rouages du sport des fléchettes.

Quelle que soit la raison de son engagement initial, Brian Gamlin devait être un homme vif et observateur, car la logique qui sous-tend sa prétendue contribution a quelque chose d’impressionnant.

1, 18, 4, 13… Attendez, quoi ?

À l’époque où vivait M. Gamlin, la question de savoir si le jeu de fléchettes était un jeu de hasard ou un jeu d’adresse faisait l’objet d’un vif débat. Bien que pour certains, cet argument puisse sembler stupide ou sans importance, il était très important car les lois régissant les jeux d’argent à l’époque étaient très précises, et les sanctions en cas d’infraction étaient plutôt sévères.

Il s’avère que M. Gamlin était conscient de l’importance d’établir une distinction claire entre l’habileté et le hasard en ce qui concerne le jeu de fléchettes.

Vous voyez, il y a un nombre étonnant de 2,43 x 10¹⁸ séquences possibles pour disposer les 20 chiffres autour d’une cible de fléchettes. Si ce nombre devient trop difficile à visualiser, il peut être utile de l’écrire.

Il y aurait 2 432 902 008 176 640 000 combinaisons possibles pour agencer les 20 numéros d’une cible de fléchettes.

Il s’agit d’un nombre incroyablement élevé. Il s’agit de plus de 2 quintillions de combinaisons possibles. J’ai dû demander à Google comment appeler un nombre aussi important.

Alors, avec tant de possibilités différentes, qu’est-ce qui rend l’arrangement particulier choisi par Brian Gamlin si spécial ?

Pour plus de clarté, voici comment sont organisés les nombres sur une cible de fléchettes moderne et standard, en partant de la position supérieure et en suivant le sens des aiguilles d’une montre : 20, 1, 18, 4, 13, 6, 10, 15, 2, 17, 3, 19, 7, 16, 8, 11, 14, 9, 12, 5.

Jeu de fléchettes standard

La séquence numérique particulière choisie par Brian Gamlin permet de réaliser deux choses.

Tout d’abord, la séquence de Gamlin “aplatit” la distribution des nombres. En d’autres termes, une distribution plus plate égalise la probabilité qu’un nombre se distingue des autres. 

Par conséquent, si un joueur cherche à atteindre un nombre spécifique, ce nombre particulier a autant de chances d’être atteint que tous les autres nombres tant que le lancer est laissé au hasard.

Plus précisément, après quelques mathématiques fastidieuses, on peut rapidement déduire que la “planéité” de la distribution d’une séquence de nombres peut être déterminée en calculant la somme des carrés d’un ensemble de nombres entiers consécutifs.

En ce sens, la séquence de Gamlin a une courbe de distribution dont la valeur est de 20 478.

En classant les chiffres par ordre numérique croissant (1, 2, 3, etc.), nous obtenons une courbe dont la valeur est 24 350.  Si vous aimez les mathématiques, les chiffres qui se cachent derrière tout cela sont en fait très intéressants.

L’introduction de variations, même minimes, augmente rapidement la valeur de la courbe de distribution. Il est intéressant de noter que la séquence de Gamlin ne nous fournit pas la courbe la plus “plate” possible. Cependant, elle offre un deuxième avantage.

Le deuxième avantage de la séquence de Gamlin est qu’elle ne réduit pas seulement l’élément de hasard, mais qu’elle punit également le manque d’habileté. Comme nous l’avons mentionné précédemment, il est théoriquement possible d’obtenir une distribution “plus plate” des nombres sur l’ensemble du tableau.

Cependant, ces distributions potentielles, qui sont certes nombreuses, ne bénéficieraient pas du coup de génie réalisé par Gamlin.

En effet, la distribution standard actuelle fait en sorte que les nombres numériquement adjacents soient aussi éloignés que possible les uns des autres.

De plus, chacun des numéros de grande valeur (de 12 à 20) est pris en sandwich par des numéros de moindre valeur. Par exemple, 20 est très éloigné de 19 et adjacent à 1 et 5.

Un joueur non qualifié qui tente de réaliser un triple 20 a beaucoup plus de chances d’obtenir une note nettement inférieure. La compétence joue donc un rôle beaucoup plus important dans les performances d’un joueur.

Besoin d’une preuve supplémentaire ? Jetez un coup d’œil à une cible de fléchettes standard et vous verrez que tous les nombres inférieurs à 10 sont entourés de cibles de plus grande valeur, et que les positions 10 et 11 sont chacune entourées d’un nombre supérieur et d’un nombre inférieur.

La séquence de Gamlin n’est pas une coïncidence.

L’affaire Thomas William Buckle

Le célèbre essayiste, philosophe et commentateur social anglais William Hazlitt a dit un jour que lorsqu’une chose cesse d’être un sujet de controverse, elle cesse d’être un sujet d’intérêt.

La question de savoir qui a inventé la cible de fléchettes moderne intéresse sans aucun doute des millions d’amateurs de fléchettes dans le monde entier et, en tant que telle, elle ne manque pas de susciter la controverse.

En effet, de nombreuses personnes considèrent que les preuves de l’implication de Brian Gamlin sont insuffisantes et manquantes. Des recherches récentes n’ont pas permis d’obtenir un certificat de décès pour un homme nommé Brian Gamlin à l’époque de son décès supposé en 1903. Le fait que Brian Gamlin n’ait jamais déposé de brevet pour son modèle ne fait qu’aggraver la situation.

Certains pensent que c’est Thomas William Buckle, ouvrier spécialisé dans les fils de fer, qui a inventé la séquence standard utilisée jusqu’à aujourd’hui.

Certains attribuent à Thomas Buckle l’invention de la variante Yorkshire de la planche, qui est fonctionnellement identique à la planche standard, à l’exception des sections doubles et triples.

La question de savoir si nous devons le jeu de fléchettes standard à un Brian Gamlin ou à un Thomas Buckle reste un point litigieux, avec des partisans acharnés de part et d’autre du débat. Mon avis sur la question ? Je pense que l’absence de certificat de décès est loin d’être aussi concluante que le prétendent les partisans de Buckle.

Surtout si l’on tient compte du fait que M. Gamlin était impliqué dans le circuit des carnavals itinérants, ce qui signifie qu’il est possible qu’il soit mort loin du Lancashire.

En fin de compte, le jeu de fléchettes doit une grande partie de son succès à l’émergence de la séquence numérique que nous connaissons et aimons tous. Néanmoins, de nombreuses variantes régionales du jeu de fléchettes sont jouées chaque jour dans le monde entier.

Parmi ceux-ci, on peut citer les 5 d’Ipswich et de Londres qui n’utilisent que des sections numérotées par multiples de 5, les planches du Kent et de Grimsby qui sont énormes et qui évitent les couleurs vertes et rouges préférées et optent plutôt pour un design noir, ou même le Quadro qui comprend une section de quadruple score plutôt difficile à atteindre.

Toutes ces variantes sont excellentes et confèrent au jeu une richesse et une profondeur fantastiques. Et n’oubliez pas qu’après tout, la séquence de Gamlin n’est qu’une des 2 quintillions de possibilités.